jeudi 10 janvier 2013

Le parapluie de Bruxelles



Le 20 juin 1847, le roi Leopold 1er inaugure en grandes pompes les Galeries Saint-Hubert. A ses côtés, un homme savoure particulièrement cet instant. Il s’agit de Jean-Pierre Cluysenaar, architecte ambitieux et urbaniste visionnaire qui a eu l’idée de construire ce magnifique passage. Alors que tous l’entourent pour le féliciter, il se souvient de ces dix dernières années de luttes incessantes pour que son projet aboutisse. En effet, ces Galeries, que les Bruxellois surnomment très vite « le Parapluie de Bruxelles », ne se sont pas construites sans mal.


Tout commence en 1837. Bruxelles est la capitale d’un tout nouveau pays qui connaît alors un développement industriel et commercial hors du commun. Mais son centre a gardé son aspect médiéval. Entre le Théâtre de la Monnaie et la Gand Place, ce ne sont que ruelles et impasses où une classe prolétaire misérable s’entasse dans des taudis insalubres. L’artère principale de ce quartier qui va du Marché aux Herbes à la Montagne aux Herbes Potagères, la Rue Saint-Hubert, n’a que 2 mètres de large. Elle est sordide et mal famée. Cour des miracles des temps modernes, rares sont ceux qui osent s’y aventurer. 

Cluysenaar a l’idée insensée d’assainir et moderniser ce quartier en y construisant un grand passage couvert d’une verrière. Il sait qu’il lui faudra l’appui d’alliés bien placés. Il a fait la connaissance du banquier De Mot. Il va l’associer à son projet. Ensemble, ils mettent au point leur stratégie. Il leur faut absolument le soutien des pouvoirs publics afin d’obtenir les autorisations nécessaires. Toutes ces formalités vont durer neuf ans. La Société anonyme des Galeries Saint-Hubert est enfin créée et ses actions se vendent comme des petits pains à de nombreux investisseurs privés séduits par la garantie d’un intérêt minimum par les autorités.

49 maisons situées de part et d’autre de la rue Saint-Hubert sont expropriées. Cela prendra du temps et provoquera de nombreux débats. On dit qu’une vielle demoiselle d’origine aisée qui habitait la Maison des Orfèvres située à l’emplacement de l’actuelle entrée côté marché aux Herbes mourut de saisissement et de fureur lorsque l’huissier vint lui annoncer la prochaine démolition de sa maison. Quant au sieur Paneel, barbier de son état, il refusa obstinément de partir et préféra se trancher la gorge avec son rasoir lorsque les deux maisons contiguës à la sienne furent abattues.

Léopold 1er pose la première pierre de l’édifice le 6 mai 1846 alors que la construction est déjà bien avancée et l’inaugure officiellement l’année suivante. Le succès est au rendez-vous. Les Galeries Saint-Hubert sont à la fois les plus longues, les plus hautes, les mieux décorées et les plus lumineuses du monde. Bien que l’entrée soit payante (vingt-cinq centimes les jeudis et dimanches, dix centimes les autres jours), la grande foule se presse et ne cesse d’augmenter au fur et à mesure que de luxueux magasins spécialisés s’y ouvrent.
En 1857, Jean Neuhaus, pharmacien d’origine suisse, installe une confiserie qui vend toutes sortes de bonbons contre la toux dans la Galerie de la Reine. Son petit-fils, innove en créant des chocolats fourrés aux fruits, aux pâtes de noix pilées, de crèmes variées. Il les appelle pralines car leur forme rappelle les noix enrobées de sucre du marquis de Praslin. Sa femme imagine de les ranger délicatement dans une petite boîte en carton qu’elle appelle ballotin. Aujourd’hui encore, la chocolaterie Neuhaus occupe toujours le numéro 23 de la galerie de la Reine.



Au fil des années, les galeries Saint Hubert deviennent un centre littéraire fréquentés par des écrivains tels qu’Alexandre Dumas, Victor Hugo, Appollinaire ou encore Baudelaire. C’est dans ces galeries que le 10 juillet 1875, vers 9 heures du matin, Paul Verlaine achète un revolver dans une armurerie, ivre de douleur et de désespoir. Plus tard, dans sa chambre de la rue des Brasseurs il retournera l’arme contre son amant Arthur Rimbaud et fera feu. On connaît la suite, Verlaine est arrêté et condamné pour blessure sur la personne du Sieur Rimbaud…

Le 1er mars 1896, au 7 de la galerie du Roi, tous ceux qui sont présents dans les locaux du journal la Chronique pressentent qu’ils vivent un moment historique. Quelques jours après Paris, ils assistent à la première séance publique en Belgique du Cinématographe des frères Lumière. Au programme, Le Train entre en Gare de la Ciotat, L’Arroseur arrosé, Le Repas de Bébé. Aujourd’hui encore, grâce à l’Arenberg, les Galeries restent un haut lieu du cinéma de qualité à Bruxelles.




Le Théâtre des Galeries Saint-Hubert, inauguré le 7 juin 1947 était au départ uniquement destiné à la comédie et au drame. Le Conseil Communal de Bruxelles avait en effet interdit qu’on y chante ou qu’on y joue de la musique afin de ne pas concurrencer le Théâtre de la Monnaie tout proche. Ce n’est qu’à partir de 1860 qu’il reçoit l’autorisation d’y jouer des opérettes et des revues à grand orchestre. Va commencer alors une longue série de revues qui feront courir le Tout-Bruxelles. En 1951, la salle est devenue beaucoup trop vétuste et ne répond plus aux nouvelles normes de sécurité. Elle est entièrement reconstruite avec deux vastes balcons de face qui remplacent avantageusement les quatre étroites galeries périphériques précédentes. Aujourd’hui encore, le Théâtre des Galeries attire un public nombreux et sa fameuse Revue attire toujours la grande foule.


La Taverne du Passage est un des restaurants préférés des gastronomes bruxellois. Sa cave à vin est l’une des mieux fournies de la capitale et son intérieur Art Déco, dû à l’architecte Léon Govaerts, celui-là même qui réalisa la maison Van Buuren à Uccle, est remarquablement préservé.


Il faut s’arrêter à la Ganterie Italienne. Fondée en 1890 par une gantière originaire de Naples, elle est tenue aujourd’hui par son petit-neveu qui perpétue un métier authentique dans un cadre qui n’a pas bougé depuis son ouverture.

La Librairie Tropismes, active depuis 1984, a conservé en grande partie les décors de pilastres et de miroirs du Café des Princes, ouvert en 1886. Même s’ils s’y trouvent parfois à l’étroit, les amateurs de bons livres s’y pressent sachant qu’ils y recevront de vrais conseils littéraires.

Classées Monument Historique par Arrêté Royal le 19 novembre 1986, les Galeries Royales Saint-Hubert continuent de remplir leur fonction d’origine, à la fois sociale, urbaine, économique et culturelle. Les commerces de luxe y côtoient toujours les restaurants théâtres et appartements privés. Lieu de promenade adulé, elles accueillent depuis peu le Musée des Lettres et Manuscrits où ont lieu régulièrement des expositions ayant trait à la littérature.

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