jeudi 10 janvier 2013

La drache ? Même pas peur !


Elles ne craignent ni la pluie, ni le gel. Elles sont vertes, joliment dessinées et sont les balises de touristes en vadrouille ou de bruxellois curieux. Elles racontent l’histoire d’une maison, d’un quartier, d’un artiste. Elles sont la fierté d’une petite entreprise bruxelloise, l’Emaillerie Belge qui mérite d’être mieux connue. Découvrons-la ensemble.




L’Emaillerie Belge est une entreprise artisanale créée en 1921 et installée depuis 1923 à Molenbeek, près de la Gare de l’Ouest. Nous sommes en plein entre-deux-guerres, le niveau de vie augmente, les marques commerciales font de plus en plus appel à la publicité pour asseoir leur notoriété. C’est l’âge d’or de la plaque publicitaire émaillée. Deux grandes émailleries se partagent la presque totalité du marché : les émailleries de Koekelberg et l’Emaillerie Belge. Après la guerre 40-45, la plaque émaillée connaît un nouveau succès. Mais celui-ci ne durera pas puisque, dans les années 70, elle tend à disparaître. L’Emaillerie Belge contrairement à sa consœur va pouvoir continuer son activité, s’étant entre temps spécialisée dans l’émaillage d’objets domestiques (baignoires, éviers, cuisinières, etc.). 


En 1992, l’arrivée de Benoît d’Ydewalle marque une nouvelle étape dans l’histoire de la société. Cet entrepreneur est séduit par le talent des hommes et des femmes qui travaillent dans l’entreprise. Ce sont des orfèvres, il va leur proposer de réaliser de véritables œuvres d’art. Le renouveau va venir avec la création de plaques tirées des albums de BD et l’audace d’aller chercher des marchés en signalétique à Paris (RATP). Dans les reproductions de BD, la fidélité au dessin original, le rendu parfait des couleurs, la luminosité de ces pièces uniques ou du moins fabriquées en très petite quantité va tout de suite séduire les experts. Un contrat d’exclusivité est signé avec Dargaud-Lombard, une des plus grandes maisons d’édition de BD.



L’Emaillerie Belge vient de réussir un coup de maître. Elle retrouve la place qui était la sienne avant-guerre : la première. De nouveaux contrats arrivent. L’habillage de plusieurs stations de métro à Paris. La signalétique touristique de Laon. La reconnaissance internationale est au rendez-vous. Même les égyptiens viendront à Bruxelles pour commander les plaques du métro du Caire. L’entreprise a une priorité absolue, la qualité. C’est sa marque de fabrique. Rançon de la gloire, l’entreprise doit faire face à un nouveau défi : des faussaires n’hésitent pas à mettre sur le marché des pièces de piètre qualité estampillées « Emaillerie Belge ». Fabriquées on ne sait où, la différence est perceptible au premier coup d’œil. Couleurs plus ternes, fragilité, et surtout une faible résistance aux diverses agressions.



L’acier émaillé de l’Emaillerie Belge est pratiquement inaltérable. C’est le matériau idéal à utiliser pour la signalétique dans les lieux et transports publics. L’émail ne requiert pas d’entretien. C’est un matériau extrêmement durable qui ne doit pas être remplacé. Les couleurs d’une surface émaillée ne s’altèrent pas avec la chaleur ni les rayons UV. Une surface émaillée ne peut pas être éraflée par des brosses très dures, des couteaux ou autre objet pointu.




Personne ne peut rester indifférent devant l’émail. Lui seul peut donner autant d’éclat à la couleur. Il est lisse, il donne l’envie d’être effleuré, caressé des doigts. Nombreux sont les artistes qui veulent travailler avec l’Emaillerie Belge. La sérigraphie permet toutes les audaces. Les dessinateurs, comme les photographes ou les plasticiens ne s’en privent pas. Ils savent que l’œuvre qu’ils auront créée sera éternelle. Ou presque.
Si l’envie vous prend de mieux connaître cet art et ceux qui le pratiquent, n’hésitez pas. Il vous suffit de prendre rendez-vous. Régulièrement, la manufacture ouvre ses portes pour une visite qui vaut vraiment le déplacement. 



Emaillerie Belge
Rue Verheyden, 7
1080 Bruxelles
02 521 27 24

Le parapluie de Bruxelles



Le 20 juin 1847, le roi Leopold 1er inaugure en grandes pompes les Galeries Saint-Hubert. A ses côtés, un homme savoure particulièrement cet instant. Il s’agit de Jean-Pierre Cluysenaar, architecte ambitieux et urbaniste visionnaire qui a eu l’idée de construire ce magnifique passage. Alors que tous l’entourent pour le féliciter, il se souvient de ces dix dernières années de luttes incessantes pour que son projet aboutisse. En effet, ces Galeries, que les Bruxellois surnomment très vite « le Parapluie de Bruxelles », ne se sont pas construites sans mal.


Tout commence en 1837. Bruxelles est la capitale d’un tout nouveau pays qui connaît alors un développement industriel et commercial hors du commun. Mais son centre a gardé son aspect médiéval. Entre le Théâtre de la Monnaie et la Gand Place, ce ne sont que ruelles et impasses où une classe prolétaire misérable s’entasse dans des taudis insalubres. L’artère principale de ce quartier qui va du Marché aux Herbes à la Montagne aux Herbes Potagères, la Rue Saint-Hubert, n’a que 2 mètres de large. Elle est sordide et mal famée. Cour des miracles des temps modernes, rares sont ceux qui osent s’y aventurer. 

Cluysenaar a l’idée insensée d’assainir et moderniser ce quartier en y construisant un grand passage couvert d’une verrière. Il sait qu’il lui faudra l’appui d’alliés bien placés. Il a fait la connaissance du banquier De Mot. Il va l’associer à son projet. Ensemble, ils mettent au point leur stratégie. Il leur faut absolument le soutien des pouvoirs publics afin d’obtenir les autorisations nécessaires. Toutes ces formalités vont durer neuf ans. La Société anonyme des Galeries Saint-Hubert est enfin créée et ses actions se vendent comme des petits pains à de nombreux investisseurs privés séduits par la garantie d’un intérêt minimum par les autorités.

49 maisons situées de part et d’autre de la rue Saint-Hubert sont expropriées. Cela prendra du temps et provoquera de nombreux débats. On dit qu’une vielle demoiselle d’origine aisée qui habitait la Maison des Orfèvres située à l’emplacement de l’actuelle entrée côté marché aux Herbes mourut de saisissement et de fureur lorsque l’huissier vint lui annoncer la prochaine démolition de sa maison. Quant au sieur Paneel, barbier de son état, il refusa obstinément de partir et préféra se trancher la gorge avec son rasoir lorsque les deux maisons contiguës à la sienne furent abattues.

Léopold 1er pose la première pierre de l’édifice le 6 mai 1846 alors que la construction est déjà bien avancée et l’inaugure officiellement l’année suivante. Le succès est au rendez-vous. Les Galeries Saint-Hubert sont à la fois les plus longues, les plus hautes, les mieux décorées et les plus lumineuses du monde. Bien que l’entrée soit payante (vingt-cinq centimes les jeudis et dimanches, dix centimes les autres jours), la grande foule se presse et ne cesse d’augmenter au fur et à mesure que de luxueux magasins spécialisés s’y ouvrent.
En 1857, Jean Neuhaus, pharmacien d’origine suisse, installe une confiserie qui vend toutes sortes de bonbons contre la toux dans la Galerie de la Reine. Son petit-fils, innove en créant des chocolats fourrés aux fruits, aux pâtes de noix pilées, de crèmes variées. Il les appelle pralines car leur forme rappelle les noix enrobées de sucre du marquis de Praslin. Sa femme imagine de les ranger délicatement dans une petite boîte en carton qu’elle appelle ballotin. Aujourd’hui encore, la chocolaterie Neuhaus occupe toujours le numéro 23 de la galerie de la Reine.



Au fil des années, les galeries Saint Hubert deviennent un centre littéraire fréquentés par des écrivains tels qu’Alexandre Dumas, Victor Hugo, Appollinaire ou encore Baudelaire. C’est dans ces galeries que le 10 juillet 1875, vers 9 heures du matin, Paul Verlaine achète un revolver dans une armurerie, ivre de douleur et de désespoir. Plus tard, dans sa chambre de la rue des Brasseurs il retournera l’arme contre son amant Arthur Rimbaud et fera feu. On connaît la suite, Verlaine est arrêté et condamné pour blessure sur la personne du Sieur Rimbaud…

Le 1er mars 1896, au 7 de la galerie du Roi, tous ceux qui sont présents dans les locaux du journal la Chronique pressentent qu’ils vivent un moment historique. Quelques jours après Paris, ils assistent à la première séance publique en Belgique du Cinématographe des frères Lumière. Au programme, Le Train entre en Gare de la Ciotat, L’Arroseur arrosé, Le Repas de Bébé. Aujourd’hui encore, grâce à l’Arenberg, les Galeries restent un haut lieu du cinéma de qualité à Bruxelles.




Le Théâtre des Galeries Saint-Hubert, inauguré le 7 juin 1947 était au départ uniquement destiné à la comédie et au drame. Le Conseil Communal de Bruxelles avait en effet interdit qu’on y chante ou qu’on y joue de la musique afin de ne pas concurrencer le Théâtre de la Monnaie tout proche. Ce n’est qu’à partir de 1860 qu’il reçoit l’autorisation d’y jouer des opérettes et des revues à grand orchestre. Va commencer alors une longue série de revues qui feront courir le Tout-Bruxelles. En 1951, la salle est devenue beaucoup trop vétuste et ne répond plus aux nouvelles normes de sécurité. Elle est entièrement reconstruite avec deux vastes balcons de face qui remplacent avantageusement les quatre étroites galeries périphériques précédentes. Aujourd’hui encore, le Théâtre des Galeries attire un public nombreux et sa fameuse Revue attire toujours la grande foule.


La Taverne du Passage est un des restaurants préférés des gastronomes bruxellois. Sa cave à vin est l’une des mieux fournies de la capitale et son intérieur Art Déco, dû à l’architecte Léon Govaerts, celui-là même qui réalisa la maison Van Buuren à Uccle, est remarquablement préservé.


Il faut s’arrêter à la Ganterie Italienne. Fondée en 1890 par une gantière originaire de Naples, elle est tenue aujourd’hui par son petit-neveu qui perpétue un métier authentique dans un cadre qui n’a pas bougé depuis son ouverture.

La Librairie Tropismes, active depuis 1984, a conservé en grande partie les décors de pilastres et de miroirs du Café des Princes, ouvert en 1886. Même s’ils s’y trouvent parfois à l’étroit, les amateurs de bons livres s’y pressent sachant qu’ils y recevront de vrais conseils littéraires.

Classées Monument Historique par Arrêté Royal le 19 novembre 1986, les Galeries Royales Saint-Hubert continuent de remplir leur fonction d’origine, à la fois sociale, urbaine, économique et culturelle. Les commerces de luxe y côtoient toujours les restaurants théâtres et appartements privés. Lieu de promenade adulé, elles accueillent depuis peu le Musée des Lettres et Manuscrits où ont lieu régulièrement des expositions ayant trait à la littérature.

Bruxelles sous la pluie, c’est rien que du Plaizier.



 Boulevard Lemmonier, Bruxelles, vers 1935
Les plus belles photos de Bruxelles sous la pluie sont sans doute celles qu’a prises Léonard Misonne dans les années ‘30. Pour notre plus grand bonheur, elles éditées en cartes postales et posters par Plaizier. Ce libraire, galeriste, éditeur, découvreur de talents est installé depuis le milieu des années au 50 rue des Eperonniers, à deux pas de la Grand Place.
On ne peut qu’être étonné par la modernité de ces images. Ces ciels tourmentés, cette pluie fine qui s’infiltre jusqu’aux os, ces hommes et ces femmes courbés sous des parapluies et se dépêchant de trouver un abri des images sont tellement travaillées qu’elles semblent avoir été réalisées avec l’aide du logiciel Photoshop.

Place de Brouckere, Bruxelles, vers 1935
Léonard Misonne (1870-1943) découvre la photographie au cours de ses études d'ingénieur à l'université de Louvain. Elle devient sa passion, il va y consacrer sa vie. Ce sont les débuts de la photographie. A l’époque, elle est seulement considérée comme un moyen de rendre compte de la réalité. Pourtant, autour des années 1900, quelques photographes avant-gardistes veulent élever leur pratique au rang d'art majeur au même titre que la peinture et la gravure. Léonard Misonne est l’un d’eux. Amoureux de la nature, il veut la glorifier par ses clichés dont il fera ce qu'il nomme lui-même des tableaux. Très vite, il va devenir l'un des chefs de file de l'Ecole de la photographie artistique, mouvement international que l'histoire de la photographie a retenu sous le nom de pictorialisme.

Rue Royale, Bruxelles, vers 1935
Les pictorialistes prônent l’intervention manuelle sur les images au moyen de procédés complexes. Misonne a utilisé et mis au point un procédé qu’il appellera médiobrome. Ce procédé chimique implique un travail du tirage à base de pigments qui permet de manipuler l’image finale. Chez Misonne, cette manipulation a pour but de jouer sur la lumière afin de donner une ambiance toute particulière à ses images. Elle lui permet de recréer cette lumière irréelle d’après orage que l’on retrouve souvent en Belgique.

Au Bon Marché, Boulevard du Jardin Botanique, Bruxelles, vers 1933
Jusqu'à la fin de sa vie, Léonard Misonne restera fidèle à l'esthétique pictorialiste et à ses principes, ce qui va tout à fait le marginaliser. Mais aujourd'hui, le pictorialisme séduit à nouveau esthètes et collectionneurs. Des expositions sont organisées un peu partout dans le monde et des livres consacrés à ce courant sont édités.

Rue Lambermont, Bruxelles, vers 1933
N’hésitez pas à vous rendre chez Plaizier, 50 rue des Eperonniers. Vous y trouverez bien entendu les photos de Bruxelles sous la pluie prises par Misonne. Mais il y a plein d’autres choses à y découvrir. Il y a ces cartes postales drôles, étonnantes, surréalistes ou iconoclastes. Il y a des calendriers, des lithos numérotées et signées, des pièces qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Pour qui aime Bruxelles, cette adresse est incontournable.


Plaizier
Rue des Eperonniers, 50
1000 Bruxelles
Tél : 02 513 47 30